Au-delà de l'affaire Société Générale, le nouveau « facteur humain » dans la banque.

Au-delà de l'affaire Société Générale, le nouveau « facteur humain » dans la banque.

Gestion du risque éthique, équilibre des carrières, modes de rémunérations, procédures de contrôle, codes de conduite : l'actualité récente a montré qu'il y avait un vrai problème de gestion des ressources humaines dans le monde de la banque. La Société Générale n'est pas la seule à y être confrontée.

L' « affaire » Société Générale (SG) est d'une nature tout à fait différente des autres « affaires » (Enron, WorldCom, Parmalat, ...) qui ont défrayé la chronique au début du siècle. Elle ne procède pas, en effet, de malversations financières et comptables des dirigeants. Elle ne met pas non plus en cause comme Enron un grand cabinet d'audit. Elle ne peut donc être considérée au même titre que ces autres « affaires » comme un « scandale financier ». Elle n'est, pourrait-on dire, que le résultat catastrophique sinon exceptionnel de la « triche » d'un collaborateur. Alors que l' « affaire » Enron était la conséquence de la survenance du risque éthique à la base. Mais comment ce risque a-t- il pu survenir ?

Manager des femmes et des hommes ordinaires                                                        

La réponse à cette question ne peut être réduite aux agissements d'un « fou » ou d'un « grand pervers ». Après tout, même si le trader incriminé en était un, ce qui reste à prouver, il en existe dans toutes les organisations et, quelquefois, au niveau le plus élevé... On a souvent présenté le patron d'Enron comme un mégalomane et, néanmoins, avant d'être cloué au pilori, il était encensé par ses pairs et les investisseurs pour son audace stratégique et son aptitude à créer de la valeur pour ses actionnaires. Le management consiste justement à mobiliser, pour la réalisation des objectifs de l'organisation, les connaissances, les aptitudes et les compétences d'hommes et de femmes ordinaires qui ne sont pas des saints et ont leurs propres objectifs, ce qui implique en particulier des dispositifs de gestion des « ressources humaines » adéquats et robustes.

Qu'en était-il à la SG ? Passons sur le fait que le trader à l'origine de l'affaire venait du back-off ice et connaissait donc parfaitement les systèmes de contrôle de la banque : l'erreur de casting est manifeste. Passons aussi sur le fait que l'on puisse accepter qu'un trader ne prenne pas ses congés : c'est évidemment faire peu de cas de la dimension très ludique et psychologiquement éprouvante de la tâche. Venons-en au système de rémunération qui, à la Générale comme sans doute dans les autres banques, est problématique.

Rémunérations « excitatives » et risque éthique

Un puissant intéressement aux gains réalisés s'avère un efficace mais, en même temps, un terrible pousse-à-la performance, sinon au crime (en l'occurrence, il semble que le trader n'ait pas cherché son propre enrichissement), devant lequel les barrières éthiques d'un individu ordinaire ne résistent guère. Il est clair que le risque éthique peut être amplifié par le mode de rémunération. En lui-même, le mode de rémunération est porteur d'une partie de ce risque. Il est permis de penser qu'en adoptant un mode de rémunération très incitatif, voire « excitatif », une banque choisit le niveau de risque éthique qu'elle accepte de prendre.

Dans cette perspective, abstraction faite de l'importance de la perte (4,9 milliards d'euros !), l' « affaire » SG ne relève pas d'un évènement exceptionnel mais d'un évènement quasi-normal ; la fréquence de ce genre d'évènements, et tous ne sont probablement pas connus, tend à le prouver. Le risque éthique n'est pas un risque individuel mais un risque organisationnel.

L' « affaire » SG pose également le problème de l'équilibre entre les rémunérations des contrôleurs du ba ck-off ice et les rémunérations des contrôlés du front-office. L'écart entre les premières et les secondes peut aller de 1 à 3, voire 4. Cet écart de nature financière se double d'un écart de considération : travailler au front est beaucoup plus prestigieux que travailler au back. La revalorisation financière et symbolique des fonctions de support apparaît donc aujourd'hui comme une nécessité. Faut-il pour autant intéresser le personnel du back aux résultats réalisés par le front comme certains l'ont proposé et les associer de fait aux performances de ceux qu'ils doivent contrôler ? Il y aurait sans doute un autre risque éthique à lier la rémunération du douanier à celle du contrebandier potentiel. La réflexion sur les modes de rémunération et du personnel du front et du personnel du back ne fait que commencer.

Le double langage du code éthique et du système de rémunération

Accessoirement, dans la mesure où la Société Générale avait un code de conduite, l' « affaire » amène à s'interroger sur la compatibilité entre un tel code et son système de rémunération. Ne peut-il y avoir de profonds antagonismes entre les prescriptions déontologiques énoncées dans ces codes à l'intention du personnel et les modes de rémunérations « excitatifs » de certaines catégories ? N'est-on pas dans l'ambiguïté d'un double message, d'une double injonction ? Déjà, l' « affaire » Enron, et il y a là un rare point commun aux deux « affaires », avait déjà mis en évidence de telles contradictions. Ne se peut-il aussi que la hiérarchie accepte une application assez souple de ces codes dès lors qu'elle s'avère rentable ? Si oui, quelles sont les limites d'une telle tolérance et comment sont-elles perçues et interprétées par le personnel ? L'avocate du trader aura beau jeu d'arguer de l'éventuelle ambiguïté des comportements des supérieurs hiérarchiques de son client.

Tout ceci devrait en définitive inviter les directions générales et des ressources humaines à une réflexion approfondie sur la gestion des hommes et des femmes et à admettre, s'ils l'ont oublié, que la « ressource humaine » n'est pas une ressource comme les autres, que le « facteur humain », justement, est humain. On touche là aux limites du raisonnement économique appliqué à l'humain. Les ingénieurs-financiers qui constituent aujourd'hui majoritairement la hiérarchie des banques en sont-ils bien conscients ?

Bertrand Colasse


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